Dirigeant la Fondation Tomorrow, Maggie Gu est spécialiste des questions liées au développement du continent. Entrevue.

Inciter l’acquisition des savoir-faire spécifiques et mettre l’accent sur une croissance durable et équitable sont deux des piliers clés de cette ONG basée à Genève. Habituée des MEDays, sa numéro 1,

s’est penchée sur la meilleure manière d’appréhender la conjoncture actuelle et de transformer les crises en opportunités.

 

Vous vous trouvez à la tête de Tomorrow Foundation après une expérience de 18 ans dans le managment des affaires internationales. Qu'est-ce qui vous a conduit dans le caritatif ?

Avant toute chose, Tomorrow Foundation est une ONG dont les activités ne se limitent pas au caritatif. Il s’agit aussi d’un groupe de réflexion. Notre objectif est d'accompagner et de financer des initiatives ayant le plus grand impact social possible à travers l'Afrique. La première fois que j'ai mis les pieds en Afrique en tant que diplomate, c'était en 2003. Alors que j'étais convaincue du potentiel du continent, et que je savais que la diversification des partenariats économiques et politiques serait très positive pour son développement, j’ai pensé que j’avais besoin de jouer un rôle plus important et de mettre mon réseau et mon énergie au service d'initiatives que j'estimais pertinentes pour le développement local.

 

Il était donc naturel pour moi de créer Tomorrow Foundation et de poursuivre cette relation privilégiée avec l'idée de créer de nouvelles générations de chefs d'entreprise et une possibilité de changement pour l'Afrique grâce à l'éducation des jeunes, au développement des compétences et à la technologie.

 

Nous pensons, dans cette structure, que la technologie est un élément clé de la prospérité et du développement durable en Afrique comme dans le monde. La Fondation soutient le programme de numérisation de Junior Achievement Africa et est membre du comité numérique, et je me suis également engagée à soutenir diverses start-ups technologiques en tant qu'investisseuse depuis de nombreuses années.

Quels sont les grands axes de votre stratégie ?

L’éducation des jeunes, le développement des compétences et la technologie ont toujours été nos principales priorités pour créer de futurs leaders et une possibilité de changement pour l'Afrique. Notre partenariat avec Junior Achievement Africa est essentiel dans ce sens. Nous en sommes à la 5e année et je suis très heureuse de voir que notre engagement s'est traduit par des résultats tangibles dans différents pays africains. Nous avons également développé le concept de construction de « barrières souples ». L'idée est que la multiplication de projets de développement à petite échelle, faciles à démarrer et répondant aux besoins les plus urgents de communautés spécifiques, constitue le meilleur moyen de lutter contre la marginalisation et la radicalisation des populations les plus vulnérables.

 

Nous nous sommes toujours efforcés de maximiser les impacts sociaux et économiques de nos initiatives grâce à une sélection précise des projets, une plus grande réactivité et une expertise dans les économies africaines. La collaboration avec d'autres organisations plus importantes telles que Junior Achievement, l'une des plus grandes ONG au monde, ou l'Institut Amadeus, nous a permis d'élargir considérablement notre champ de travail et d'augmenter notre impact.

 

À ce jour, par exemple, grâce aux programmes Futurepreneurship, plus de 2 000 jeunes Africains ont développé leurs compétences en entrepreneuriat, en finance et en gestion de projets. Le nouveau programme numérique JA Deep permettra d'atteindre des centaines de milliers d'autres. Nous travaillons aussi depuis longtemps sur la lutte contre le terrorisme et avons publié un certain nombre de rapports dans les médias et les bourses d'études internationales. L'une de nos principales conclusions, tout comme de nombreux autres chercheurs l'ont également souligné, est que le développement économique pourrait réduire considérablement la volonté des gens de participer à des activités terroristes ; par conséquent, l'éducation pour le développement des compétences et l'entrepreneuriat est essentielle au maintien de la paix et à la prospérité en Afrique. L'Afrique est un continent en développement rapide qui regorge d'opportunités, mais pour les concrétiser, les gens doivent posséder à la fois des compétences générales et spécifiques. C'est pourquoi tous nos projets locaux avec JA sont liés à cette question. Notre objectif ultime est de doter les Africains de la capacité et des moyens pour mener à bien la vie qu'ils veulent pour eux-mêmes.

Vous encouragez les Etats à rompre avec les modèles économiques et les choix du passé". Pourriez-vous être plus précise ?

Je constate que les investissements en Afrique deviennent de plus en plus stratégiques pour le reste du monde, d'un point de vue économique, social et géopolitique. La compétition autour des technologies d'avenir est entamée, le shoring entre voisins est désormais fortement pris en compte par les pays occidentaux, la jeunesse africaine est ambitieuse et dynamique (...). L'Afrique peut tirer parti de cette situation, utiliser sa propre expérience et l'expérience de la Chine pour développer son économie, négocier de meilleures conditions dans les accords commerciaux et de construction, mettre en place une structure assurant un meilleur contrôle et une meilleure utilisation des ressources locales, le transfert de technologies, la transformation des produits sur son territoire.

 

Quelles sont les priorités de votre fondation au lendemain de la crise sanitaire ?

La pandémie a ralenti de nombreux développements sur tout le continent et la crise économique a affaibli plusieurs économies africaines. Les activités de la Fondation n'ont jamais cessé tout au long de cette période, car toutes nos initiatives et programmes ont été maintenus. Maintenant que la pandémie est terminée, nous allons de nouveau accélérer nos partenariats avec les gouvernements et les institutions pour réévaluer les besoins des populations, en particulier ceux des jeunes, dans le contexte actuel. Les besoins et les désirs des populations ont en effet changé, en raison des faiblesses que la pandémie a provoquées dans de nombreux secteurs. L'accès aux technologies et l'accroissement de la numérisation des économies commencent par l'éducation et les infrastructures. Nous continuerons à nous concentrer là-dessus. Enfin, nous soutiendrons davantage les initiatives liées aux énergies vertes, comme celle que nous avons récemment rejointe avec United Cities et la Fondation Vihara. Ce partenariat  ambitionne de développer des communautés refuges basées sur des systèmes d'énergies renouvelables, une agriculture décarbonée et un modèle économique permettant l'autonomisation, l'autosuffisance et l'expansion.

 Tomorrow Foundation vise en outre à promouvoir une Afrique « culturellement confiante ».  De quelles façons ?

Ce concept de « confiance culturelle » entre dans le cadre plus large d'avoir un continent fier de lui-même, et ne voit pas systématiquement les cultures étrangères et les pays étrangers comme meilleurs. Un continent qui ne se sent pas en sécurité et indépendant dans sa culture et son identité ne peut réussir et être indépendant économiquement et politiquement. Nous y participons en nouant des partenariats avec les institutions internationales prestigieuses de pays intéressés par la connaissance de l'Afrique, et qui peuvent lui apporter beaucoup en termes d'échanges intellectuels et pédagogiques. A ce titre,  Tomorrow Foundation a conclu des partenariats passés, présents avec des institutions universitaires internationales telles que l'Université Fudan en Chine, l'Institut Amadeus au Maroc et l'Université hébraïque en Israël, pour encourager la communication interculturelle et le développement international. Nous avons également travaillé avec de nombreuses ONG au Libéria, au Tchad, au Ghana et dans de nombreux autres pays africains sur le développement d'initiatives culturelles et éducatives africaines. Nous avons financé des prix et des bourses dans des écoles et des universités telles que United World College afin d’encourager les étudiants à avoir des visions globales diversifiées. Nous croyons fermement en la capacité des jeunes à transformer le monde, et nous sommes impatients de voir comment les graines que nous avons semées rendront le monde meilleur un jour.

 

Ce n'est pas la première fois que vous participez aux MEDays. Selon vous, comment dépasser le stade des mots et parvenir à des mesures concrètes ?

Des instances comme les MEDays sont très importantes car des personnes d’horizons divers et aux ressources différentes peuvent se rencontrer, se rendre compte qu’elles partagent une vision commune et décider de coopérer sur de nouveaux projets. Personnellement, j'ai déjà commencé à discuter avec quelques confrères pour voir comment nous pouvons soutenir certaines initiatives. Aussi ces événements contribuent à rendre « plus forts» certains messages sur la scène internationale. Et lorsque ce sera le cas, tous les acteurs politiques et économiques, qui étaient peut-être hésitants ou perplexes auparavant, suivront le mouvement et lanceront des actions en conséquence. C'est ce que je pense de la finance verte et des nouveaux modèles économiques basés sur les joint-ventures.